Cour d’appel de Paris, 5 janvier 2023, n° 22/16135 

« L’appelant n’est pas tenu par les textes d’attendre la constitution de l’intimé avant de notifier ses conclusions d’appel ; il n’est pas tenu de notifier ses conclusions d’appel après les avoir signifiées à l’intimé avant sa constitution d’avocat. La notification de ses conclusions d’appel, qu’elle intervienne dans le délai initial d’un mois ou dans le délai supplémentaire d’un mois, constitue le point de départ du délai dont dispose l’intimé pour conclure » (Paris, 5 janvier 2023, n° 22/16135).

La Cour d’appel de Paris rappelle ici avec clarté une position jurisprudentielle maintenant bien établie, qui accorde à l’appelant la prérogative non négligeable de déclencher le délai imparti à l’intimé pour conclure.

Pour rappel, en matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, qu’il s’agisse de la procédure dite « à bref délai » (article 905-2 du code de procédure civile) ou de la procédure ordinaire (article 909 du code de procédure civile), le délai laissé à l’intimé pour conclure ne commence à courir qu’à compter de la communication par l’appelant de ses propres conclusions. 

S’agissant spécifiquement de la procédure à bref délai, l’article 905-2 du code de procédure civile prévoit en son second alinéa que l’intimé doit conclure, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, dans un délai d’un mois « à compter de la notification des conclusions de l’appelant ».  

L’appelant, pour sa part, dispose également d’un délai d’un mois pour conclure, courant en principe à compter de sa réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai (article 905-2 alinéa 1). Dans ce même délai, il doit procéder à la notification de ses conclusions à l’avocat constitué pour l’intimé ou – si l’intimé n’a pas encore constitué avocat à l’issue dudit délai – signifier ses conclusions à partie ; dans ce dernier cas, l’appelant dispose, en vertu de l’article 911 du code de procédure civile, d’un délai supplémentaire d’un mois pour procéder à cette signification.

Mais qu’en est-il lorsque l’appelant prend l’initiative de signifier d’emblée ses conclusions à l’intimée, sans attendre l’expiration du délai d’un mois qui lui est imparti pour conclure – et alors qu’aucun avocat n’est encore constitué –, puis les notifie ensuite à l’avocat constitué entretemps ?

C’est précisément la question posée à la Cour d’appel de Paris au cas particulier, puisque l’appelant avait signifié ses conclusions aux intimés dès les 5 et 6 octobre 2022, soit le lendemain de sa réception de l’avis de fixation à bref délai – le 4 octobre – et plusieurs jours avant que les intimés ne constituent avocat – le 13 octobre suivant.

Dans ce contexte, les intimés ont argué devant la Cour que si l’article 911 du code de procédure civile impose à l’appelant de signifier ses conclusions dans un délai d’un mois, à compter de l’expiration du délai initial d’un mois qui lui est laissé pour conclure et notifier ses conclusions à l’avocat de l’intimé, il s’ensuit que la signification à partie réalisée avant l’expiration de ce délai initial ne peut faire courir le délai d’un mois imparti à l’intimé pour conclure à son tour.

Autrement dit, les intimées soutenaient que lorsque l’intimé constitue avocat dans le délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation, l’appelant doit notifier ses conclusions à l’avocat constitué pour faire courir le délai d’un mois laissé à l’intimé pour conclure, nonobstant toute signification à partie intervenue antérieurement.

La Cour d’appel de Paris n’a toutefois pas suivi les intimés dans leur raisonnement et jugé au contraire que le délai laissé à l’intimé pour conclure court à compter de la signification par l’appelant de ses conclusions, nonobstant toute constitution d’avocat postérieure, y compris dans le mois suivant l’avis de fixation de l’affaire à bref délai.

La Cour d’appel de Paris n’a en réalité fait qu’appliquer ici une solution clairement posée par la Cour de cassation, qui, aux termes d’un avis et d’un arrêt de principe rendus en 2014, avait jugé au visa des articles 906 et 911 du code de procédure civile que « l’appelant ayant remis au greffe et signifié ses conclusions à partie n’est pas tenu de les notifier à l’avocat de cette partie constitué postérieurement à la signification » (Civ. 2, 10 avril 2014, n° 13-11.134, B), de sorte que « la notification de ces conclusions à l’intimé » avant qu’il n’ait constitué avocat suffit à faire courir le délai dont l’intimé dispose pour conclure (Cass., Avis, 6 octobre 2014, n° 15012, B).

L’application de cette solution à la procédure d’appel à bref délai ne faisait pas plus de doute – puisque l’article 911 renvoie en des termes identiques à l’article 905-2 du code de procédure civile – et résulte d’une jurisprudence tout aussi constante (pour un exemple récent voir : Civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-21.286, B).

Bien qu’il eût été difficilement concevable d’introduire une distinction là où l’article 911 du code de procédure civile ne distingue pas, on remarquera néanmoins que la solution peut s’avérer particulièrement piégeuse pour l’intimé en ce qui concerne la procédure à bref délai.

En effet, la Cour de cassation jugeant par ailleurs que « lorsque l’appel relève de plein droit d’une instruction à bref délai », l’appelant est libre de déposer ses conclusions au greffe avant même d’avoir reçu l’avis de fixation (Civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-14.449, B), il s’ensuit que « le délai d’un mois imparti à l’intimé pour conclure court de plein droit dès la notification des conclusions de l’appelant, même si celle-ci intervient avant l’avis de fixation de l’affaire à bref délai » (Civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-21.286).

En pratique, l’appelant d’une décision relevant de plein droit de la procédure à bref délai (comme, en l’espèce, une décision du juge de l’exécution ou encore une ordonnance de référé) pourra donc signifier immédiatement sa déclaration d’appel et ses conclusions à l’intimée, lequel disposera alors d’un délai d’un mois pour conclure.

Autrement dit, l’appelant peut faire courir le délai d’un mois imparti à l’intimée pour conclure avant même que n’ait commencé à courir le délai d’un mois dont il bénéficie lui-même, s’il fait signifier à l’intimée sa déclaration d’appel et ses conclusions avant d’avoir reçu l’avis de fixation de l’affaire à bref délai.

Le risque de confusion est d’autant plus grand pour l’intimé que, conformément aux dispositions de l’article 905-1 du code de procédure civile, l’acte de signification de la déclaration d’appel doit lui indiquer le délai qui lui est imparti pour conclure aux termes de l’article 905-2, lequel indique expressément que le délai d’un mois laissé à l’appelant pour conclure ne commence à courir qu’à compter de « la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai ». 

En pratique, les appelants les plus diligents ont donc tout intérêt à procéder de la sorte, étant rappelé que la communication tardive par l’intimé de ses conclusions est sanctionnée par une irrecevabilité – relevée d’office si besoin – le privant non seulement de la possibilité de se défendre, mais aussi de toute possibilité d’appel incident ou provoqué.